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Vincent Michéa à la Galerie Le Manége Théodora Sy "Wal Fadjri" Dakar (2008)
Il était une fois Dakar
Entre le peintre Vincent Michéa et Dakar, point d'amour passagères, cela fait 22 ans que ça dure… Gage d'amour, on pourrait l'appeler comme cela l'expo qui depuis
le 19 Juin ce tient à la galerie Le Manège. Les noces se poursuivent jusqu'au 12 Juillet.
Nous les voyons jamais que d'assez loin, forteresses imprenables se donnant à la dérobée, par une lucarne ou du haut d'un piédestal. Ces figures célèbres d'ici et d'ailleurs, l'artiste Vincent Michéa a sues les ramener jusqu'à nous, en hommage à la ville de Dakar et de ses habitants. Et la galerie Le Manège épouse, en ces jours, tous les contours d'une avenue, d'un boulevard de stars, avec ses quelques visages que, pour l'essentiel, l'on sait reconnaître. Une galerie de portraits intitulée "Dakar, punto final", clin d'œil à la chanson éponyme du musicien dominicain Johnny Pacheco.
La vie de chacune de ces 22 toiles commence souvent par un pointillé, le premier d'une longue série où l'on joue du pinceau pour tracer l'ovale d'un visage, affiner un nez ou ouvrir des yeux. Pour réaliser ses œuvres, Vincent Michéa part toujours d'une photo qu'il détaille et dissèque, réduisant ainsi la surface à créer - ou à recrée - à une succession de petits points qui inspirent le travail graphique et quasi photographique. Le travail de reconstitution, un peu comme un puzzle, ne tolère aucune erreur, car il faut demeurer fidèle au modèle et obtenir, en fin de compte, quelque chose de tout à fait ressemblant. Chaque pièce à sa place…
Yaye Boye
Entre les ruelles de l'avenue et d'un visage à l'autre, l'on fait connaissance et sympathise. L'on dérobe la générosité d'un sourire à Katoucha Niane, tandis que la chanteuse égyptienne Oumou Kalsoum nous observe de son regard perçant qu'emmurent ses fameuses lunettes, celles que le monde connaît. Aminata Fall, la chanteuse de jazz est là, elle aussi. Point de nom sur le visage, seul suffit Yaye Boye, l'un de ses titre les plus célèbres et qui fonctionne ici comme une légende, l'artiste s'éclipse…
L'on se laisse aussi perdre par le côté grave d'un regard impérieux, celui de la chanteuse américaine Nina Simone que l'on peine à soutenir. Mais il suffit seulement de l'imaginer autrement, promenant ses doigts sur les touches d'un piano, pour que s'éteigne le trouble. C'etait cela le modèle original qui inspira Vincent Michéa, mais l'artiste ne voulait qu'un portrait. Tout prés Youssou N'dour, You tout simplement, baisse les yeux sur quelque chose que l'on ignore, sorte de vision exclusive.
Mais le piège de cette expo c'est Arétha Franklin, méconnaissable sous ses traits juvéniles avec un petit air de Whitney Houston. Là non plus, pas de nom sur le portrait qui se fond dans l'anonyme. Point de barrière par conséquent entre l'œil et ce qu'il voit car il se l'approprie sans retenue. Sur ce coup là, question d'angle probablement, Vincent Michéa explique qu'il n'avait " besoin que de ses yeux et de son sourire". Peut-être est-ce là aussi le jeu d'un malin génie qui s'amuserait à guetter les vrais - fausses réactions a priori, a posteriori.
Mort anonyme
De vrai anonymes par contre, il y en a, "des amies" de l'artiste, "pas si anonymes que cela…"
L'exercice de reconstitution ne se limite pas pour autant à ces modèles humains. Le coup de pinceau de Vincent Michéa s'ouvre à d'autres formes d'expression. Sur les pochettes de disques en l'occurrence, l'hyperréalisme qui façonne chacun de ses traits sait reproduire un détail, restaurer une ambiance, une harmonie ou réécrire un mot, sans que la main ne vacille et s'égare. Sur ce registre, il joue énormément sur la discographie de Laba Sosseh, en signe de respect pour la carrière du Maestro, plein de regrets aussi pour sa "mort anonyme". Dans sa série de pochettes, il danse sur deux pieds: façonné à l'identique ou monté de toutes pièces, à l'écoute de son imagination.
Et dans un coin du Manège, l'artiste révèle un peu de ce qu'il fait à l'heure actuelle, une nouvelle série qui commence : la reproduction peinte de sculptures préhistoriques ; quelque - une d'entre elles ont prés de 25 000 ans d'existence.
Mais pour ce "Dakar, punto final", il ne faudra compter que jusqu'à 22 : c'est l'âge qu'a l'idylle entre le peintre français et la presqu'île africaine. En deux décennies, Vincent Michéa s'est pris d'affection pour Dakar, son charme paisible, la beauté de son paysage et la douceur de ses gens. Un lien particulier entre eux aussi : c'est là que se révéla son génie artistique, pour quelqu'un qui voulait être peintre à 6 ans déjà. Depuis 2007, il enseigne à l'Académie des Beaux Arts de Kinshasa, mais il n'est… jamais bien loin .
Théodora Sy
Wal Fadjri (Dakar)
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